L'éducation des jeunes filles au XIXème siècle
- annelorealauteur
- 18 mai 2019
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Voilà un thème qui passionnera tous les esprits romanesques... L'éducation des jeunes filles au fil des siècles a tant différencié de celle de leurs compagnons et créé tant et tant de frustration pour les plus téméraires d'entre elles que c'était là le berceau idéal de destinées hors du commun.
Alors que notre XXIème se veut être égalitaire, champion de parité, défenseur de tous les genres... pouvons-nous imaginer une seconde un monde où, tout à l'opposé, notre condition autorise ou interdit l'accès à l'éducation et où notre mode de vie nous est imposé par notre genre?
Ci dessous quelques éléments de réponse...

Au XVIIIème siècle, l'aristocratie a autorisé l'éducation de certaines femmes (princesses, nobles ). Mais dans cette société de classe, le privilège des femmes issues de l'aristocratie n'a pas eu d'effet pour les autres classes sociales. On ne peut contester que certaines femmes ait eu accès à une forme de connaissance, celle qui n'abordait pas les domaines réservés aux hommes: la politique et les affaires. Au XVIIIème siècle, on acceptait que certaines femmes puissent développer leur intelligence dans la mesure où ces exceptions ne remettaient pas en cause l'ordre établi.
L'utilité publique des femmes est alors entièrement renvoyée au domaine privé.
Plus tard, la pensée démocratique suit une autre logique; on ne parle plus d'une élite privilégiée grâce aux liens du sang mais on considère toutes les femmes à égalité. La reconnaissance des capacités de certaines femmes correspondra dès lors à la reconnaissance pour toutes. Au même moment, les espaces sociaux sont redéfinis et l'utilité publique des femmes est alors entièrement renvoyée au domaine privé.

Rousseau mettra un terme aux possibilités de succès des femmes contemporaines dans la sphère publique. Les nouvelles classes sociales favorisées du XIXème siècle ne s'interrogeront pas sur la nécessité d'éduquer les filles puisque toutes les femmes sont considérées de la même manière et de ce fait, elles ont toutes été exclues du bien le plus apprécié par les hommes libres: l'éducation.
La philosophie du siècle des Lumières pose les nouvelles bases de la vie en communauté: l'égalité des êtres humains et le contrat social. Comment est-il possible, à partir de ces théories, d'expliquer l'injustice politique issue de la discrimination sexuelle, sur laquelle repose la construction des sociétés démocratiques? L'explication se trouve chez Rousseau, la philosophie romantique (Hegel, Schopenhauer, Kierkegaard, Nietzsche) et la science positive. On constate depuis longtemps que la construction des démocraties occidentales s'est basée sur la liberté au détriment de l'égalité, concepts que certains auteurs associent, mais qui s'opposaient au développement capitaliste des sociétés bourgeoises. Sans Sophie, domestique et servile, Émile libre et autonome ne pourrait exister.
La philosophie romantique justifiera l'exclusion des femmes de la sphère de l'égalité, la sphère politique par excellence, en les "naturalisant", comme l'écrit Amelia Valcarcel:
« Il a créé une essence féminine fantasmatique et a soutenu que cette essence était précivique. Une femme est devenue une femelle de l'espèce humaine, ce qui permis à l'ensemble du genre humain de se naturaliser ».
Ainsi, "l'égalité" de l'espèce était préservée. Face à l'individualité des sujets hommes, on a considéré un autre groupe uniforme qui regroupait indifféremment toutes les femmes: "la femme". La philosophie romantique et la démocratie ont un caractère profondément misogyne puisqu'elles déprécient l'ensemble des femmes en généralisant les caractéristiques les plus défavorables Chez Rousseau et certains romantiques, la "complémentarité" entre les sexes justifie les différences hiérarchiques. La classification: femme/ nature, homme/ culture des théories normatives, non empiriques, a constitué la base de la science positive qui avalisera les préjugés grâce à de nouvelles théories.
De la démonstration de l'infériorité intellectuelle et physique de la femme...
De nombreuses théories pseudo-scientifiques ont voulu démontrer l'infériorité physique et, par conséquent intellectuelle des femmes. Nous n'en citerons que quelques unes:
- la phrénologie de Gall qui voulait démontrer la supériorité intellectuelle des hommes par la forme extérieure du crâne;
- Bischoff, qui limitait la période de développement intellectuel des femmes à l'enfance;
- Moebius auteur de L'infériorité mentale de la femme (La inferioridad mental de la mujer), dont le titre indiquait clairement ses intentions et qui a fondé son argumentation sur la taille du cerveau;
- Kormiloff et Melassez, ont voulu démontrer que le sang des femmes comportait moins de globules rouges, moins d'hémoglobine et plus d'eau que celui des hommes;
- Quételet, Wisberg, Andral et Scharling, ont misé sur une capacité pulmonaire, squelettique, vocale, etc... inférieure chez les femmes et cette infériorité physique engendrait une faiblesse et des maladies chroniques;
- Spencer a tenté de démontrer que l'activité intellectuelle était incompatible avec la procréation. (Scanlon 1986). Les femmes, physiquement inférieures, seraient guidées par leur utérus alors que les hommes se serviraient de leur cerveau.
- La physiologie féminine: menstruation, grossesse, placerait les femmes dans un état constant d'infirmité physique qui s'accompagnerait d'une diminution de leurs facultés mentales et morales. (Ortiz 1993).
Outre ces théories, un discours sur "l'excellence" s'est développé pour légitimer la subordination des femmes. Cet éloge des qualités des femmes dans ce contexte patriarcal n'a pas favorisé l'égalité entre hommes et femmes. Ce contexte a permis de justifier au XIXème siècle et pendant une bonne partie du XXème le maintien des rôles sociaux distincts et hiérarchiquement ordonnés des hommes et des femmes, et la persistance de deux modèles d'éducation, en fonctions des différences de genre.
Les prémices de l'éducation: La Loi Falloux
La scolarisation obligatoire pour les filles s'est généralisée au cours de ce siècle. En France, la loi Falloux de 1850 a imposé à toutes les communes de plus de 800 habitants de disposer d'une école de filles, en Espagne, la loi Moyano de 1857 impose une école de filles pour 500 habitants et en Finlande, en 1866, la loi oblige toutes les communes à entretenir une école. Cette scolarisation des filles a en fait renforcé les différences entre garçons et filles puisque les cursus étaient différenciés selon les sexes. (Manninen et Setala 1990, Ballarin 1993, Mayeur, 1993).

Les valeurs du modèle classique: chasteté, modestie, tenue, discrétion dans les discussions et dans l'alimentation feront parti des programmes des enseignements dans les cursus des filles.
Mais, face à l'éducation "de façade", "l'utilité domestique" et les "travaux propres au sexe" se sont renforcés et sont devenus l'axe principal de la formation scolaire des femmes pendant de nombreuses années.
La locution "travaux propres au sexe", qui à l'origine se référait aux activités utilisant "l'aiguille", occulte en fait ce qui est sans doute l'essentiel du contenu de ces apprentissages: le service, la contribution dévouée et gratuite des femmes au bonheur des autres. Le terme "travaux" employé pour désigner ces matières spécifiques a permis de ne pas oublier qu'il s'agissait d'un service qu'elles devaient assumer de par leur nature, en tant que femmes.
La place femme restera jusque vers 1950 centrée sur la bonne tenue du foyer familial et vouée au bien-être de son mari et de ses enfants. Jusqu'à cette époque récente, le système éducatif vise principalement à former les femmes à accomplir cette tâche...
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